Forum social mondial: les altermondialistes célèbrent le logiciel libre
Société - Un Forum équipé en logiciels ouverts, un ministre
de la Culture qui vante la révolution du "libre" et les
licences Creative Commons... Pour les militants de Porto
Alegre, le manchot de Linus Torvalds est devenu un symbole
de l'économie solidaire.
PORTO ALEGRE (Brésil) - Ce n'est pas une surprise, le
Brésil et les altermondialistes adhèrent au principe et à
la philosophie du «logiciel libre». En témoignent les
débats politiques sur ce thème, comme les équipements
informatiques déployés, à l'occasion de ce cinquième Forum
social mondial (FSM), qui s'achève ce lundi.
En termes d'équipements, les 700 ordinateurs disposés à
travers l'immense Forum (onze espaces thématiques déployés
sur des kilomètres, le long du fleuve Guaiba), sont tous
exclusivement sous logiciels libres. Système d'exploitation
Linux, bureautique OpenOffice, Mozilla pour la navigation
internet, Gimp pour le traitement et la retouche d'images...
Les 120 ordinateurs de la salle de presse ne faisaient pas
exception (environ 5.000 journalistes accrédités). La
connexion internet, à haut débit et par fibre optique, a
subi quelques coupures de réseau, heureusement très
sporadiques. La ville a investi massivement et l'équipement
restera en place définitivement.
Les débats étaient au diapason de cette débauche de moyens.
Le Brésil, surtout depuis l'élection de son président Lula
en octobre 2002, est particulièrement en pointe pour
promouvoir les logiciels libres. Témoin, le zèle avec
lequel le fondateur de Microsoft, Bill Gates a cherché, dix
jours avant, à obtenir une audience officielle avec le
président brésilien lors de l'"autre Forum", celui de Davos.
Gates et Lula se sont bien exprimés ensemble lors d'une
table ronde, mais ils n'ont pas eu, à proprement parlé,
d'entretien en tête à tête.
A Porto Alegre, parmi les débats et les ateliers organisés,
une vingtaine étaient liés au sujet, tels que "Economie
solidaire et logiciel libre, deux faces d'une autre
économie", ainsi que deux réunions autour de la "révolution
numérique" qui leur étaient entièrement dédiées.
Lors de la première, vendredi dernier, était attendue
l'intervention de Sergio Amadeu da Silveira, président de
l'Institut national des technologies de l'information, un
organe officiel qui a en charge la migration de
l'informatique de l'administration fédérale vers les
logiciels libres. Il y a un an, c'est lui qui avait
vertement apostrophé Microsoft, en comparant la
multinationale à un dealer de drogue qui offre gratuitement
accès à Windows pour mieux rendre accros les jeunes
utilisateurs. L'éditeur américain avait porté plainte en
diffamation, avant de se rétracter... «N'utilisez pas de
logiciels illégaux, utilisez des logiciels libres et
répandez-les!», a-t-il scandé cette année. «Le logiciel
libre, c'est un logiciel de partage. Et le logiciel, c'est
comme le savoir, il peut être copié et répandu sans
appauvrir celui qui le fait.»
Moins de 10% des Brésiliens ont accès à un ordinateur
De son côté, le Brésilien Marcelo Branco (du Projet
Software Livre) a mis l'accent sur la démocratisation de
l'accès à l'internet dans le pays: aujourd'hui moins de 10%
des habitants ont accès à un ordinateur, avec les logiciels
libres cela contribuera à combler le fossé plus rapidement.
Diego Saravia, de l'ONG Hipatia, a même lancé avec lyrisme:
«Un autre monde est possible, et les logiciels libres sont
des outils pour ce monde...» Georg Greve, venu en tant que
président de la Free Software Foundation Europe, a salué
les travaux concrets réalisés au Brésil en faveur des plus
défavorisés. Comme l'illustre avec vigueur le projet
"Telecentros" à Sao Paulo, qui consiste à équiper les
fameuses favelas (les bidonvilles), de centres multimédias
ouverts à tous.
Si seulement une centaine de personnes assistaient à cette
première réunion, elles étaient un bon millier le lendemain
samedi pour une seconde rencontre avec d'autres VIP
d'envergure internationale. Étaient présents le sociologue
Manuel Castells, le juriste Lawrence Lessig (qui en a fait
part sur son blog), mais aussi l'un des vétérans du
militantisme new age, John Perry Barlow, cofondateur de
l'Electronic Frontier Foundation (sa formule «Windows
doesn't dance!» a fait un triomphe...).
À leurs côtés, Gilberto Gil, monstre sacré de la musique
brésilienne et actuel ministre de la Culture. Espérant voir
fleurir des «révolutions françaises du 21e siècle» dans le
logiciel et le commerce, le ministre-musicien a promis un
soutien accru aux logiciels libres et aux licences
"Creative Commons" (dont Lessig en a été l'un des plus
fervents promoteurs). Dans son élan, Gil a même lancé: «Je
suis un ministre, je suis un musicien, mais avant tout je
suis un hacker».
Cette semaine-là, aucun doute, Bill Gates a bien fait de
préférer Davos à Porto Alegre.