Commerce de carbone et REDD+ au Mozambique : Les Paysans « cultivent » du carbone pour les pollueurs
Les fausses solutions de Rio+20
Pour interviewer des represantant(e)s des mouvements paysans à Rio
Maputo, le 15 Juin 2012 (Via Campesina Africa News) - La production alimentaire et la souveraineté des populations africaines risquent d’êtres sérieusement compromises par la mise en place de projets de plantation et de préservation d’arbres pour la séquestration de carbone et la Réduction des Emissions liées à la Déforestation et à la Dégradation des forêts plus (REDD+). De tels projets pourraient conduire le continent à de graves situations d’insécurité alimentaire et entraîner la perte de leurs terres et du contrôle des ressources forestières pour les paysannes et les paysans africains.
Au Mozambique, ce scénario ne saurait tarder puisque le pays a proposé son territoire comme « modèle » pour des projets de capture de carbone et de REDD+.
A la tombée de la nuit, Albertina Francisco*, paysanne de la communauté de Nhambita dans la province de Sofala au Mozambique, rentre chez elle, épuisée après une nouvelle journée de travail dans sa machamba (mot qui signifie champ au Mozambique). En plus de s’occuper du maïs, du mapira (une espèce de sorgo) et du manioc qu’elle cultive, Albertina doit s'occuper d'une tâche supplémentaire : prendre soin des arbres qu’elle a plantés quelques années auparavant, afin qu’en fin d’année, elle ne soit pas pénalisée par Envirotrade, l’entreprise avec laquelle elle a signé un contrat de séquestration de carbone. Albertina doit donc veiller, de manière contractuelle, à ce que les plantations ne meurent pas et de leur garantir un bon développement afin que survivent au moins 85% des plantations.
« En plus du maïs et du mapira, je dois maintenant veiller sur les arbres pour qu’ils ne meurent pas. J’ai planté beaucoup d’arbres et il n’est pas facile de tout inspecter » a déclaré Albertina qui visite son champ deux fois par jours.
Comme Albertina, 1400 paysannes et de paysans de Nhambita et d’autres communautés de la zone administrative de Pungué dans la province de Sofala ont signé des contrats pour la plantation et l'entretien d'arbres sur leurs terres.
« Quand ils sont arrivés, ils ont dit que le projet était bon parce qu’en plantant des arbres nous recevrions de l’argent pour combattre la pauvreté et nous serions propriétaires (des arbres) même après la fin du projet » raconte un paysan de Nhambita.
Le projet s’appelle « Nhambita Community Carbon Project »1.L’objectif de l’entreprise Envirotrade est de séquestrer le carbone à partir de l’agroforesterie, de vendre les crédits de carbone sur le marché volontaire, actuellement en Europe et aux Etats Unis. En achetant les crédits-carbone, les entreprises des pays industrialisés peuvent "s'acheter une bonne image" auprès de leurs clients, se donner bonne conscience et continuer à polluer la planète avec leurs activités. L’application du mécanisme REDD+ et les échanges de crédits-carbone permet aux pays riches de continuer à émettre des gaz à effet de serre pour autant qu’ils financent des projets de séquestration de carbone ailleurs, généralement dans des pays du sud.
Avec ce projet, Envirotrade déclare aussi réduire la pauvreté des populations.
Au-delà de l’utilisation des terres pour la plantation d’arbres (gliricidia, faidherbia, cajueiros, manguiers, espèces de bois), les communautés sont également appelées à protéger et surveiller les massifs forestiers dans une zone délimitée d’un peu plus de 10 mille hectares, zone où Envirotrade vend également des crédits-carbone à travers le mécanisme de REDD+.
Les services de plantation, de préservation et de protection des forêts sont régis pas un contrat entre Envirotrade et les paysans. Le contrat a une durée limitée, il ne s’étend que sur 7 ans. Cependant, selon les clauses du contrat, le producteur (paysan) a l’obligation de planter et de veiller sur les arbres et recevra un montant annuel qui varie en fonction du système choisi et de l’étendue des terres utilisées. Après sept ans, les paiements cessent mais l’obligation de veiller sur les arbres demeure.
« Il est du devoir du paysan de veiller sur les plantations qui lui appartiennent même après les sept ans de validité du contrat »i indique l’un des alinéas de la clause sur les obligations du producteur.
Selon Envirotrade, un arbre séquestre du carbone sur une période entre 50 à 100 ans. L’obligation de veiller sur les plantes et forêts pour les paysannes et paysans devient alors automatiquement multi générationnelle.
« Si un paysan venait à mourir durant la période de validité du contrat, le contrat serait légué aux héritiers légitimes (enfants) avec tous les droits mais aussi les obligations » explique Antonio Serra, Directeur de Envirotrade.
Il convient de mentionner que les contrats régissant l’activité ne portent aucun chapitre sur les droits des paysannes et des paysans.
Nhambita est une communauté du district de Gorongosa, de la zone administrative de Pungué, au centre du Mozambique. Elle est riche en biodiversité et abrite une végétation et une richesse forestière convoitée.
Dès le début du projet en 2003, jusqu’à 2008, la Commission Européenne a financé Envirotrade à hauteur d’environ 1,5 millions d’euros pour des recherches et des expériences à Nhambita. La Commission Européenne a interrompu son financement après avoir, entre autre raisons, constaté des irrégularités dans les méthodes proposées pour la mesure du carbone séquestré.
En quoi ceci profite-t-il aux paysannes et aux paysans ?
Selon Envirotrade, ces projets ont pour objectif de réduire la pauvreté (des communautés), de promouvoir le développement durable et de préserver la biodiversité. « C’est un nouveau modèle commercial» déclare l’entreprise sur son site internet2, affirmant offrir un nouveau mode de vie aux individus et communautés.
Pourtant, la prestation de service dans le contrat d´un paysan, auquel nous avons eu accès, requiert la plantation d’arbres sur une superficie totale de 0,22 hectares (22 mètres sur 22) sur les parcelles du paysan, qui recevra en échange un montant total de 3 215 meticais (128 dollars US) pour les 7 ans de validité du contrat. En conséquence, s'il veut gagner suffisamment d’argent et réduire sa pauvreté ce paysan aura besoin de beaucoup plus d’hectares de terre, devra diversifier son système de cultures vivrières et planter beaucoup plus d’arbres. Cela s’avère pratiquement impossible.
Le système le mieux rémunéré par Envirotrade s’appelle « Plantation forestière » et peut rapporter environ 17 500 Meticais (670 USD) répartis sur sept ans.
Ces montants correspondent à 1 hectare, c'est-à-dire qu’ils peuvent êtres supérieurs ou inférieurs selon l’étendue de la superficie. Les paysannes et paysans de Nhambita possèdent en moyenne un hectare par famille.
« Un paysan qui possède 1 hectare peut signer un contrat avec le système bordadura [bordure] valable 7 ans sur une année, et l’année suivante pour la même surface signer un contrat avec le système consociação [culture intercalaire] pour 7 ans, et dans la troisième année, signer un contrat de 7 ans pour le système de quintal [cour]. Cela permet au producteur d'être lié au projet pendant longtemps » a expliqué Antonio Serra Directeur National de Envirotrade au Mozambique.
Mais ne pensez pas que vous allez devenir riche avec la REDD+ et la plantation d’arbres : « Le commerce de carbone ne vise pas à enrichir qui que ce soit (paysans). Les études de marché montrent que les coûts sont élevés. Il ne va pas rendre les communautés riches. Les gens doivent avoir d’autres sources de revenus » a déclaré lors d’un entretien, Aristides Muhate, le responsable carbone de Envirotrade.
Il y a trois ans, Envirotrade a cessé d’émettre de nouveaux contrats, dû à des problèmes financiers.
La souveraineté alimentaire en danger
Il convient de souligner que l’expansion de ces services risque d’accroître encore l’insécurité alimentaire des communautés ou des familles, vu le temps et l’étendue des surfaces nécessaires aux paysannes et aux paysans pour planter une quantité d’arbres suffisante s'ils veulent augmenter leurs revenus. Cela poussera les paysannes et les paysans à « cultiver du carbone » au lieu des cultures alimentaires.
D’autre part, « l’accent mis sur les valeurs économiques de la préservation des forêts communautaires, encouragé par Envirotrade ne doit pas réduire l’importance des valeurs culturelles, spirituelles et biologiques, étant donné que celles-ci ont su efficacement préserver les forêts pendant des générations » souligne une étude3 de Jovanka Spiric qui a étudié l’impact socio-économique du programme REDD mis en place à Nhambita.
Un nombre considérable de paysannes et de paysans a laissé tomber les cultures agricoles pour se consacrer à temps plein aux activités de lutte contre les feux de forêt, de débroussaillage et de surveillance des forêts dans la zone REDD+.
Gabriel Langa* père de 4 enfants est chef d’un groupe qui protège et surveille le bloc 2, une zone « protégée » de REDD+ dans la région de Bué Maria à Pungué. Avant, il cultivait pour nourrir sa famille.
« Maintenant l’activité principale c’est le débroussaillage anti-feux. Je n’ai plus le temps de travailler dans ma machamba » explique Langa.
Langa va gagner 8845 Meticais (340 USD) pour son travail anti-feux dans la zone « protégée » et va les partager avec les 4 personnes de son équipe.
La forêt n’a jamais été menacée de disparition…
Pour Envirotrade, la zone tampon du Parc National de Gorongosa4, où se trouve la communauté de Nhambita était menacée de disparition à cause de l’abatage massif des arbres (pour la fabrication de charbon de bois) et les brûlis incontrôlés.
Le comi