16 octobre, Journée mondiale de l’alimentation

Haïti: Plus de 30 mille signatures contre le projet d’agrocarburant “jatropha”

2009-10-27 00:00:00

Un regroupement de plusieurs organisations paysannes s’apprête à remettre, ce vendredi 16 octobre 2009 (journée mondiale de l’alimentation), au Parlement haïtien une pétition, ayant collecté à date 31,198 signatures, contre le projet d’implantation de la plante jatropha sur les plantations paysannes nationales, observe l’agence en ligne AlterPresse.
 
“Cette lutte, qui a pris naissance à l’occasion de la tenue du 35 e anniversaire, en mars 2008, du Mouvement paysan de Papaye [1] vise la sensibilisation de toute la société appelée à contribuer dans la mobilisation contre le projet d’extermination des paysans”, souligne Chavannes Jean-Baptiste du regroupement “4 je kontre” (littéralement convergence de deux paires d’yeux), quelques heures avant la soumission de la pétition aux parlementaires haïtiens.
Plusieurs dizaines de paysannes et paysans, en provenance des dix départements géographiques du pays, ont entamé une marche, qui s’est ébranlée devant l’église catholique romaine Sacré Coeur de Turgeau (Port-au-Prince) avec une gamme de slogans et revendications.
“Ti moso tè peyi d Ayiti, zansèt nou yo te kite pou nou an, dwe pwodui manje natif natal pou nouri popilasyon an ; pwodiksyon manje natif natal Wi, pwodiksyon agwokabiran Non ; Aba pwodiksyon gaz pou tank machin lòt bò dlo ; Aba tout pwojè lanmò kont klas peyizan malere yo : Les terres d’Haïti, léguées par nos ancêtres, doivent plutôt server à la production d’aliments autochtones en vue de nourrir la population. Oui à la production agricole nationale, non à la production d’agrocarburants. A bas la production de combustible pour alimenter les réservoirs des véhicules à l’extérieur du pays. A bas tous les projets d’extermination de la classe des paysans”, figurant parmi les desiderata des paysans haïtiens, auxquels s’associent des membres internationaux du regroupement international paysan Via Campesina présents dans la marche, pour la circonstance.
Seule une minorité de personnes, faisant partie des multinationales (dites agrobusiness) peuvent tirer profit de la mise en oeuvre du projet jatropha visant la production d’agrocarburant.
Les organisations paysannes haïtiennes préfèrent parler d’agrocarburant au lieu de biocarburant ou biodiesel (le terme bio se référant à la vie), étant donné que la structure de “modernité” avec la plante “jatropha”, plus connue sous le nom de gwo metsiyen dans le pays, entraînera plutôt une hausse considérable des prix d’acquisition d’hectares de terre, par voie de conséquence une augmentation des prix des aliments, l’expulsion des paysans des terres agricoles, la destruction systématique du milieu ambiant naturel.
“La monoculture (de jatropha) n’encouragera point de protection de forêts. Face aux conséquences du changement climatique, aux perspectives de tarissement des réserves de pétrole dans quelques dizaines d’années, la seule chance (de survie) de la planète réside dans la consolidation de l’agriculture paysanne”, considère Jean-Baptiste.
Au lieu de trouver des voies de sortie de la paupérisation et de la misère, la décision d’implanter la production de jatropha, pour satisfaire les besoins internationaux en carburant, ne fera qu’enrichir les promoteurs de l’agrobusiness dans le monde, y compris Haïti.
Pour le regroupement des organizations paysannes “4 je kontre”, il existe une contradiction flagrante entre les besoins de nourriture de la planète (alors que 2 milliards d’habitants du monde ne trouvent pas assez d’aliments pour survivre) et les demandes mondiales en agrocarburant, lequel combustible joue un rôle non négligeable dans la crise alimentaire mondiale.
“La production d’1 litre d’agrocarburant (à partir du soya et du colza) exige une consommation de 14 mille litres d’eau durant tout le processus. Un litre d’agrocarburant à partir de la betterave demande une consommation de 1,400 litres d’eau. 1 litre d’agrocarburant à partir de la canne-à-sucre a besoin de 2,500 litres d’eau. Et, la production d’1 litre d’agrocarburant à partir de la plante jatropha requiert une utilisation de 20 mille litres d’eau”, révèle une recherche conduite par l’université Twente en Hollande.
Le regroupement d’organisations paysannes “4 je kontre” rejette l’assertion, selon laquelle la production d’agrocarburant se ferait sur des terres pauvres dites marginales sur le territoire haïtien.
Or, en considérant le niveau de rentabilité presque nul, sur les terres dites marginales, démontré par divers centres de recherche en Angleterre et aux Pays Bas, il faudrait investir plutôt sur des terres “riches” afin de trouver davantage d’huile.
Des ressortissants de la République Dominicaine ont commencé la production de jatropha sur des terres irriguées à Cerca La Source (Plateau Central, au nord-est de la capitale). La production jatropha est aussi implantée sur des terres arables à Thomonde (Plateau Central) et à Marmont (Hinche), également dans le Nord, le Nord-Est et le Nord-Ouest d’Haïti, dénoncent les organisations paysannes haïtiennes.
“Certes, ce processus de production de la jatropha se réalise sur des terres “riches”. Mais, les “bonnes terres” ne suffisent pas, la jatropha nécessitant l’utilisation de beaucoup d’eau”.
Pour cette question de rentabilité, des pays comme le Mali et l’Inde auraient commencé par abandonner une série de plantations en jatropha.
Pour atteindre leur objectif en l’année 2022, les Etats-Unis d’Amérique auraient besoin de 35 milliards de litres d’agrocarburant.
Dans les meilleures conditions possibles sur la planète, 1 ha de terre pourrait produire entre 1,000 à 2,000 litres d’huile de jatropha (entre 264.55 gallons à 529 gallons). Le Mali produit 600 litres d’huile par hectare. Pour satisfaire 5% de la demande mondiale, le Brésil voudrait utiliser 100 millions d’hectares de terre dans la production d’agrocarburant.
Aux yeux de “4 je kontre”, de graves dangers pèsent sur la planète (en considérant l’Amazonie comme poumon de la planète), voire pour Haïti qui se verrait aliéner une bonne partie de son territoire dans le but de combler les appétits de multinationales “agribusiness”, lesquelles cherchent à substituer l’agrocarburant au pétrole.
Une entreprise, basée à Miami et dénommée “Haitian American Agro industries”, aurait déjà initié une production de jatropha sur 100 hectares de terre parmi 21 mille à sa disposition en Haïti.
Est-ce à envisager le début du règne de la douleur, avec l’implantation du projet “de génocide” des paysans, contre lequel “ nous appelons au rassemblement de toutes les énergies, à une prise de conscience dans la société haïtienne pour faire échec au projet d’extermination de la nation”, lance le regroupement de paysans “4 je kontre”.
Le réseau national haïtien pour la souveraineté et la sécurité alimentaires (Renhassa), le Mouvement paysan de Papaye (Mpp), la Coordination régionale des organisations du Sud-Est (Cros), le Mouvement paysan national du congrès de Papaye (Mpnkp), Tèt Kole ti peyizan ayisyen, la coordination nationale des femmes paysannes haïtiennes (Konafap) font partie du regroupement “4 je kontre” qui bénéficie de l’appui de l’organisation non gouvernementale international Action Aid, dans la lutte contre l’implantation de la production jatropha sur les terres en Haïti. [rc apr 16/10/2009 12:00]
[1] Ndlr : localité de Hinche, département géographique du Plateau Central, à 128 kilomètres au nord-est de la capitale.
- Ronald Colbert, AlterPresse – Haiti.  www.alterpresse.org