Via Campesina :
Faire face à la menace des multinationales pour le monde paysan
La priorité du mouvement international paysan Via Campesina, entre 2009 et 2012, sera de mettre en échec les entreprises multinationales et les instruments utilisés pour s’emparer des ressources et des économies du monde, tels les accords dits de libre échange et les programmes pour la privatisation des ressources naturelles, des connaissances et pour la destruction de certaines cultures.
C’est la ligne stratégique politique définie et assumée par les délégués, paysannes et paysans du monde entier à la cinquième conférence internationale de Via Campesina, déroulée du 16 au 23 octobre 2008 à Matola (Maputo, Mozambique).
« Il ne s’agit pas seulement des multinationales de l’agrobusiness qui constituent la forme actuelle du capital pour contrôler nos économies, les ressources naturelles, la terre, l’eau, la biodiversité, la production et le commerce agricole, conduisant à l’exploitation des paysannes et paysans » , précise Via Campesina, dans un document rendu public dans la soirée du 23 octobre dont a pris connaissance l’agence en ligne AlterPresse.
Le mouvement international paysan convie ses membres à vaincre également les entreprises de monocultures d’arbres, celles qui se consacrent aux extractions minières, les entreprises qui construisent les grands barrages, celles qui contrôlent les marchés de distribution en général, ainsi que toutes celles impliquées dans l’expansion de nombreuses industries polluantes et usant de toutes les astuces pour s’approprier la terre et les territoires des paysannes, des paysans et des peuples indigènes.
Via Campesina promet de se battre plus particulièrement contre des entreprises comme Cargill, Monsanto, Nestlé, Walmart, et l’Alliance pour la révolution verte (Alliance for a green revolution in Africa / Agra) qui, selon le mouvement, souhaitent détruire les communautés paysannes.
« La répression contre la feuille de coca intègre cette tentative de destruction des cultures traditionnelles. Nous devons combattre le Codex Alimentarius qui nous impose des normes industrielles incompatibles avec la diversité de nos cultures », indique le mouvement international paysan.
Il convient de développer le modèle de production paysanne et agroécologique en oeuvrant contre les agro-toxiques, contre les transgéniques et toutes les formes de brevets sur la vie (y compris International Union for the protection of new varieties of plants / UPOV).
Mise au point sur la ligne politique
Avant tout, les alternatives seront aménagées sur la base la souveraineté alimentaire préconisée par Via Campesina.
Afin de prévenir le détournement de l’expression de la souveraineté alimentaire, le mouvement international paysan propose des actions concrètes pour « accroître la lutte pour une réforme agraire intégrale dans une vision de territoire », par la récupération des ressources naturelles des peuples (terre, eau et semences) par les communautés locales.
Parallèlement, des pressions seront exercées sur les gouvernements pour la mise en œuvre de politiques publiques (agricoles, commerciales, environnementales, sociales) d’appui à l’agriculture paysanne au plan local, national, régional et international, toujours sur les principes de souveraineté alimentaire.
Cela inclut, entre autres, une stratégie de travail avec les gouvernements qui veulent appliquer la souveraineté alimentaire (Mali, Sénégal, Népal, Bolivie, Cuba, Venezuela, Equateur…). Cette stratégie sous-tend aussi des initiatives pour l’élaboration de lois et constitutions nationales reconnaissant le droit à la souveraineté alimentaire.
Les communautés paysannes devront être en mesure d’utiliser leurs propres semences adaptées aux territoires, dans un souci de promouvoir des modèles de production agroécologiques.
Via Campesina devra tâcher de développer ses propres mécanismes de solidarité pour soutenir les communautés qui ont été victimes de catastrophes naturelles, de conflits armés, de la répression et de la criminalisation.
Dans le cadre de l’alternative bolivarienne pour les Amériques (Alba), des propositions seront formulées en direction des gouvernements progressistes, tandis que des rapprochements pourront être établis pour la promotion et l’application de lois de souveraineté alimentaire (Bolivie, Venezuela et Népal notamment).
En plus de la convergence du mouvement social dans les forums mondiaux, Via Campesina compte identifier et valoriser les possibilités de mise en branle de processus auprès de l’Organisation des Nations Unies (Onu), encourager la promotion de politiques publiques avec les gouvernements locaux et conclure des alliances avec les consommatrices / consommateurs et les travailleuses / travailleurs.
Via Campesina déclare se compromettre en vue de conquérir un traité international sur les droits des paysannes et des paysans, parvenir à une charte des Nations Unies des droits des paysannes et des paysans qui sont des droits humains fondamentaux.
Pour les quatre années à venir, le combat du mouvement international paysan aura comme leviers la campagne pour faire cesser la violence envers les femmes, lancée pendant le cinquième congrès d’octobre 2008, ainsi que le renforcement de la lutte des jeunes au sein de Via Campesina, dont le fonctionnement interne sera consolidé par une amélioration de l’unité et de la capacité à défendre l’agriculture paysanne.
« Le modèle néolibéral, qui a provoqué la faim, la misère et l’exclusion au bénéfice des multinationales, a particulièrement touché les femmes, débouchant sur des conséquences très graves pour elles, en plus de la violence domestique là où les relations de pouvoir sont cachées », note Via Campesina qui souligne la nécessité d’actions et confrontations programmées à court, moyen et long terme, y compris des activités dans chaque pays.
Tout en considérant les différences entre chaque continent dans la campagne contre la violence envers les femmes, il faudrait « éliminer les inégalités, qu’elles soient sociales, de classe, de genre, culturelles ou techniques ».
Pour garantir une relève générationnelle dans ses mouvements, le mouvement international paysan met l’accent sur le caractère indispensable de la formation et du développement des luttes avec les jeunes, femmes et hommes.
« Les jeunes ont des problèmes spécifiques, qui demandent des formes déterminées de lutte. Nous nous engageons à soutenir leurs luttes pour l’accès à la terre, à l’éducation et contre le système capitaliste qui ne leur offre aucune perspective d’avenir ».
Poursuivre sans relâche les actions et activités de mobilisation
La lutte idéologique, par une campagne permanente d’explication et l’utilisation de moyens alternatifs de diffusion, des actions directes massives pour affronter les intérêts des entreprises et du capital international, avec l’atteinte des objectifs de pertes économiques et de préjudices moraux, la mise en place de stratégies avec les alliés pour contrer la répression et dénoncer la criminalisation des mouvements, y compris la pression et la solidarité, figurent parmi les moyens envisagés par Via Campesina, dans le cadre de la mobilisation pendant les années à venir.
Une date commune (à choisir entre ou le 15 ou le 16 mars suivant les vœux exprimés par le forum social des Amériques) de convocation mondiale contre la crise globale et contre les multinationales doit être proposée aux autres mouvements sociaux alliés.
Le 16 octobre sera transformé en journée mondiale d’initiatives dans tous les pays contre les multinationales, pendant que se renforce la solidarité avec la marche mondiale des femmes, les écologistes et le mouvement syndical pour des actions déterminées.
Les bases sociales de Via Campesina sont appelées à contribuer dans les processus de combat pour la réforme agraire, le contrôle et la reproduction des semences paysannes, le contrôle du marché local des produits alimentaires ainsi que la mise en œuvre de techniques de production agro-écologique et la conservation de l’agriculture traditionnelle.
Dans le sens des revendications exprimées par les délégués des Caraïbes, de l’Afrique, de l’Amérique du Sud, de l’Amérique centrale, de l’Amérique du Nord, de l’Asie, de l’Europe, pendant son cinquième congrès, Via Campesina s’engage à intensifier les luttes et actions de résistance contre l’Organisation mondiale du commerce (Omc) et les accords bilatéraux appelés accords de libre échange des Amériques (Alea ou Alca en espagnol), accords de partenariat économique (Ape, que n’ont pas signés Haïti et Guyana), l’accord Etats-Unis d’Amérique-Corée et autres.
Le combat devra se diriger sur le Fonds monétaire et international et la Banque mondiale qui encouragent les politiques de privatisation de l’eau, des terres, des semences, des ressources génétiques et des connaissances ancestrales.
Pour y arriver, les organisations membres de Via Campesina produiront du matériel didactique, expliquant le pouvoir des multinationales, en utilisant les moyens de communication possible pour atteindre les bases du mouvement et la société globale, et aussi rendre visible le travail enclenché.
Cela implique, non seulement la construction de réseaux de communication populaire (fondée sur les expériences locales et les dirigeants déjà formés), mais aussi la constitution de groupes de travail au niveau international et dans les régions couvertes par Via Campesina (en accord avec les propres particularités et capacités de ces régions) afin de coordonner et concrétiser les lignes politiques définies.
Pour Via Campesina, la formation politique, idéologique et agricole est fondamentale pour le renforcement des organisations membres et des régions, plus encore par l’intégration des femmes et des jeunes. D’ailleurs, les structures régionales du comité de coordination international (Cci) comportent un total de 18 membres, dont 9 femmes. La proposition d’intégrer un jeune homme et une jeune femme au Cci sera prochainement analysée.
En revanche, le mouvement international paysan demande de considérer, dans la mise en œuvre de la formation, les différences culturelles et les particularités des régions, y compris leur cosmovision.
Sur le plan régional, la mobilisation devra être totale lors de la journée internationale des femmes le 8 mars, de la journée mondiale des luttes paysannes le 17 avril, de la journée mondiale contre l’Omc le 10 septembre et de la journée mondiale des femmes paysannes le 15 octobre.
Via Campesina invite aussi ses organisations membres à suivre un processus de construction d’alliances tactiques et stratégiques pour la cause qu’elle défend, en tentant de rassembler les forces devant amener aux changements et aboutir aux résultats par les responsabilités endossées.
Faut-il rappeler, souligne Via Campesina, qu’aucune alliance ne sera établie avec la Banque mondiale ni le Fonds monétaire internationale, encore moins avec les agences et institutions au service du néolibéralisme et du capital transnational. De plus, les organisations membres maintiendront leur autonomie d’actions, tout en sachant qu’elles peuvent « passer des accords avec des gouvernements que nous considérons progressistes, mais pas d’alliances ».
Tout en se déclarant favorable aux alliances « qui renforcent la relation entre le monde rural et le monde urbain », Via Campesina se propose de rédiger un code de conduite « pour éviter la cooptation et les situations complexes qui encouragent des changements ».
Cependant, à l’instar de l’opportunité stable dégagée sur le processus de Nyeleni en faveur de la souveraineté alimentaire en février 2007 [1], le mouvement international paysan se prononce en faveur d’alliances avec la Marche mondiale des femmes, les Amis de la Terre, les organisations de pêcheurs et certaines organisations non gouvernementales (Ong) spécifiques, « qui permettent une définition claire, radicale et alternative au modèle néolibéral ».
Retrouver l’équilibre environnemental de la planète
Face à la crise de la biodiversité, du climat et de l’eau, Via Campesina considère le modèle de l’agriculture paysanne comme la principale alternative à l’anéantissement des ressources du milieu ambiant, causé par la désertification, les inondations, la pollution des eaux (principale source de vie) par les déchets industriels et autres ravages provoqués par les actions humaines, le changement dans le cycle des saisons enregistré dans beaucoup de pays depuis quelques années.
« Notre modèle d’agriculture paysanne se trouve en équilibre avec l’environnement en préservant les ressources naturelles et en permettant la production d’aliments sains pour l’humanité », affirme Via Campesina qui rejette l’actuel modèle de développement donnant plutôt la priorité au bénéfice des entreprises sur la vie des peuples et le respect de la nature.
D’abord, le mouvement international paysan demande de soutenir les efforts des communautés pour rechercher et multiplier les savoirs populaires sur la biodiversité.
Le travail des communautés paysannes et indigènes, et particulièrement des femmes, tend à promouvoir la biodiversité agricole. Il convient alors d’affirmer les droits des paysannes et des paysans à semer, sélectionner, déployer et échanger leurs semences.
Ensuite, en ce qui concerne le climat et la crise alimentaire provoquée par le type de développement industriel entre les mains des multinationales, Via Campesina reconnaît que les pratiques paysannes et de diversification de la production assurent la préservation des sols qui captent le carbone, parce qu’elles émettent le moins de dioxyde de carbone et n’aggravent pas la pollution environnementale.
Encourager ces pratiques paysannes sur les territoires peut, non seulement aider à inverser le changement climatique, mais aussi garantir que les communautés paysannes et indigènes ne soient plus déplacées. Dans ce sens, les mouvements sociaux comme Via Campesina gagneraient à exiger des Nations Unies la prise en compte, dans les négociations sur le changement climatique, de la reconversion du modèle de développement industriel et capitaliste (principal responsable de la crise du climat).
Les mouvements sociaux devront réclamer également la réparation des dommages causés aux communautés par les entreprises qui polluent l’environnement et les eaux.
Déplacements de populations et agressions militaires
Via Campesina se propose de conduire des initiatives contre les monocultures et les agrocarburants.
« Les monocultures déplacent les populations et développent les déserts verts pour l’exportation, au bénéfice des multinationales. Elles détruisent la biodiversité. Les sols et intoxiquent les eaux », indique le plan d’action 2009 – 2012 du mouvement international paysan qui considère la question des agrocarburants comme un prétexte pour la monopolisation des terres par les grandes entreprises.
Dans ce contexte, Via Campesina insiste sur le renforcement de l’union entre femmes et hommes, paysans et travailleurs agricoles de toutes les régions du monde, face notamment aux attaques proférées à l’encontre leurs droits. Le 19 novembre de chaque année, sera célébrée la journée des personnes migrantes, premières victimes de l’exploitation faite par le modèle industriel qui se rabat sur la destruction de l’agriculture paysanne.
Via Campesina s’élève contre les agressions militaires qui représentent, dit-elle, d’autres méthodes d’appui des multinationales et des gouvernements en vue de faire main basse sur les ressources naturelles et mater les mouvements sociaux et les peuples qui se rebellent.
[1] Nyeleni est une paysanne malienne dont l’existence a été transmise par la tradition orale africaine. Originaire de la région de Ségou elle a vécu à une date indéterminée. Fille unique, elle n’a eu de cesse que d’exceller dans tous les domaines afin d’être la fierté de ses parents. Elle devient ainsi une agricultrice hors-pair qui gagnait tous les concours. On lui attribue la domestication du fonio une céréale aux grains minuscules, cultivée dans la partie sahélienne de l’Afrique de l’Ouest. Nyél&ea